Le patrimoine de la bibliothèque de Saint-Brieuc
Les bibliothécaires vous proposent la présentation commentée de documents patrimoniaux : rares, anciens, étonnants, modestes ou majestueux, et même parfois émouvants, ils gagnent à être connus !
En ce Mois du breton, heureux que nous sommes du partenariat avec Ti ar Vro-L'Ôté, et au côté des sélections empruntables, nous voulions vous proposer un petit parcours à travers les collections patrimoniales, sur les traces de la langue bretonne.
Qui a dit que la langue bretonne n’était qu’une langue « orale » ? Pas les bibliothèques en tout cas, qui en France et de par le monde conservent des manuscrits anciens attestant de l’écriture du breton dès le haut moyen-âge, certaines sources étant même antérieures (8ème et début du 9ème siècle) à la naissance « officielle » de la langue française ! A cette époque, les différents dialectes britonniques formaient encore une « lingua britannica » commune à la Bretagne armoricaine et aux territoires de l’ouest et du nord de l’actuelle Grande-Bretagne.
Les premières traces écrites repérées dans les collections de la Ville de Saint-Brieuc sont postérieures, et concernent surtout le « moyen-breton » (1100-1650 environ). Quelques-unes sont connues d’assez longue date, comme cette rime bretonne du manuscrit n°5, un petit missel liturgique du 15ème dont on connaît le propriétaire, un certain « frère Stéphan » de l’ordre des franciscains, qui en fut également l’auteur :
Au 13ème vers d’un poème en français vient se placer cette phrase, précédant un final en latin :
Benoez Doe apedaff : oar eneff brezre Stephan
[trad. : La bénédiction de Dieu j'invoque sur l'âme de frère Stéphan]
Les amateurs bien entraînés suivront les pas des lexicographes celtisants, dont Joseph Loth (1847-1934) et le briochin Emile Ernault (1852-1938), qui signalait en son temps qu’il s’agissait d’un « vers imparfait ayant, à chaque hémistiche, des rimes inférieures régulières (et même non nécessaires) ».
En attendant, l’exploration soigneuse des collections d’imprimés anciens (mission vaillamment portée par la Bibliothèque, selon les possibilités du service...) fait apparaître parfois des commentaires, notes ou phrases en breton, disséminées ici et là, parfois en lien avec l’ouvrage ou apparemment totalement isolées.
Une belle édition des Métamorphoses d’Ovide de 1518, par exemple, est enrichie de plusieurs phrases en breton au folio (page) CLXII (162). Il s’agit d’une invocation au Christ, malencontreusement écrite à l’envers du volume ! L’auteur, probablement un prêtre, avait sans doute besoin de souffler un peu, lui qui avait numéroté à la main la totalité des strophes du poème.
Ailleurs, c’est moins tragique, comme dans cet exemplaire de L'histoire ecclésiastique de Nicéfore de 1567, où l’un des propriétaires du livre s’est laissé allé à une certaine fantaisie, peut-être une allusion au jeu de l’oie (« c’hoari gwazi... »), qui pourrait néanmoins cacher une référence plus solide.
On adore le dessin accompagnant avec propos la dernière page du Dictionnaire et colloque françois et breton de G. Quiquer, un fort utile manuel de conversation imprimé à Saint-Brieuc en 1612, et destiné aux « Français et Bretons se frequentans & qui n’ont pas l’intelligence des deux langues ».
Ne vous plait-il pas que je vous serve de ce chappon ?
Ac é na plich guenech é serviché me dech ves an cabon man ?
N’oublions pas l’essentiel...
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