"Les androïdes ont envahi la vie quotidienne, dans le monde entier, partout, sauf sur l’île japonaise très conservatrice de Kino qui résiste à la modernité et aux nouvelles technologies, pour reproduire un Japon de la fin du xxe siècle, gardé sous cloche de verre. Dans cette enclave idéale d’un monde disparu, Hélène et Edo, mari et femme, vivent heureux depuis de nombreuses années. Mais s’il est figé à Kino, le temps commence, pour le couple, à leur jouer des tours. Pianiste de renom, Hélène voit en effet sa place au sein de l’orchestre philharmonique mise en péril depuis l’arrivée d’une musicienne plus jeune et plus talentueuse qu’elle. De son côté, Edo sent que son désir pour sa femme s’étiole peu à peu. Alors, Hélène décide d’introduire dans leur maison un robot, clone parfait d’elle quand elle était jeune, et programmé pour satisfaire les désirs de ses propriétaires.
Mais quand on transgresse les lois, qu’elles soient celles des hommes, de l’amour ou du temps, le prix à payer peut s’avérer élevé…"
Japon, an 2160, un couple au crépuscule, aux prises avec la nostalgie, les regrets, les doutes.
Sur une île, une communauté protégée, notamment, des Intelligences Artificielles Humanisées qui, il faut bien le dire, prennent partout ailleurs tous les emplois moins qualifiés.
Une histoire de cages, qui dedans, qui dehors ? et de désirs. Rester ou partir ? Se protéger ou aller de l'avant ? Modernité ou tradition ? Dans tous les cas, les désirs des uns n'étant pas forcément les désirs des autres, les conséquences ne sont pas toujours imaginables. Alors que faire ?
Liant fond et forme dans une épure à la fois d'une grande modernité graphique et totalement raccord avec le style des estampes des 18 et 19es siècles dans un hommage appuyé à Hokusai, la direction artistique de l'ouvrage sert ses thématiques avec un à-propos sidérant de justesse. Par le choix symbolique du Japon tout d'abord, dont la représentation culturelle embrasse tout en même temps les traditions les plus ancrées et la modernité la plus débridée, oscillant toujours entre protectionnisme rigoureux et ouverture sur le monde. Une incarnation de la contradiction renforcée encore par cet îlot, Kino, terme qui peut à la fois désigner une résine et le mouvement. Par la palette utilisée ensuite, très proche de celle de Hokusai, tout comme le trait, sans même parler des citations directes de ses Vues du Mont Fuji qui se glissent au fil des pages. Par l'art de l'estampe aussi, dans tout ce qu'il figure d'un savoir-faire ancestral et du perfectionnisme à la japonaise. Ces à-plats ont-ils été réalisés dans la lignée de l'école la plus "analogique" ou s'agit-il d'un savant agencement de modes dégradé, de filtres et masques parfaitement maîtrisé ? Si bien que l'on ne sait plus qui de l'humain ou de l'informatique, de l'outil main ou de l'outil logiciel a finalement fait ces dessins.
Parallèlement, les dialogues, le découpage, les plans choisis pourraient eux-mêmes être des citations des plus grands cinéastes (Hitchcock et Ozu, mais pas que..), mais peut-être appartiennent-ils juste à leurs (très grands) auteurs. Au bout de tout cela, une narration riche, tout en profondeur qui nous emmène au-delà du discours conscient, et nous invite à changer régulièrement de perspective et nous interroger, par nous-mêmes et sur nous-mêmes, sur notre nos désirs, nos actions (ou inactions) et leurs conséquences possibles.
Mention spéciale enfin aux éditions Sarbacane, qui ont, en plus de faire confiance à ces deux artistes pour un premier album, réalisé un superbe objet.
Bonus : quelques images disponibles sur le site de l'éditeur, et un entretien fort intéressant avec les deux auteurs sur ActuaBD